Anthocryographies
Ecrire ensuite des textes à partir de ces photographies a été une autre histoire. Sachant que tout fait sens dans une image, pour peu que l’on s’y attarde, Jean-Luc Gaudet a imaginé l’histoire d’un « anthomologiste » qui désespéré depuis la mort de son épouse bien aimée, tente de percer le secret de l’immortalité à travers ses expériences. Si ces poèmes racontent des fragments de la vie de Rose et de l’alchimiste, ils ont été écrits dans le désordre au gré de l’inspiration du moment, et la principale difficulté a été de les ranger pour obtenir une certaine unité. Vaste chantier quand on sait combien la constitution d’une anthologie est toujours l’objet de multiples tensions, et que le résultat final est toujours provisoire. Chacun étant libre d’imaginer une autre organisation que celle qui est proposée ici.
En définitive, c’est à chaque visiteur qu’il convient de combler les vides entre les photographies et les poèmes pour imaginer sa propre histoire.
Métamorphose
Quand la première métamorphose eut-elle lieu ? Nul ne le sait. Les plus anciens parlent de la folie d’un Alchimiste, un peu sorcier un peu poète. Et c’est par un étrange hasard que la fleur devint un jour oiseau. De la matrice végétale, l’animal avait conservé la forme douce et duveteuse, emprunté aux feuilles la finesse de ses ailes, pris aux épines l’acuité de son bec et de ses griffes, volé aux pétales la légèreté de ses plumes. Il ne manquait plus que le chant à l’oiseau pour prendre son envol. On raconte que l’Anthomologiste captura un peu de lumière dans sa main et la déposa dans le cœur du volatile. Et c’est ainsi, qu’à chaque saison, lorsqu’une rose fleurit, se fait entendre le doux chant d’un rossignol.
La rencontre
L’arum se cambre
A la limite de la rupture
Dans sa robe d’ambre
Tout son corps danse
Ondule
Sous l’averse d’avril
Son doigt tendu
Désigne un ciel strié d’écume
Ses lèvres font un bruit d’ombre
Elle m’attend
Se dérobe et vacille
Sous les effluves sucrés du vent
Devient Chimère
Puis plonge au creux des vagues
Il ne reste alors dans mes mains
Qu’un étrange parfum
L’arôme du tempsNoces
Grain à grain
la lumière par l’étroit vitrail
s’insinue et s’accroche
dans les reflets de ta robe
emplie de poussière d’or
serré entre tes doigts
un peu de mon jardin
voyage à chacun de tes pas
un pétale de rose s’enfuit
et scelle son destin
près de l’autel fleuri
j’apprends un à un
la douceur de tes gestes
la blancheur de tes mots
sous ton voile d’organdi
du calice de ta bouche
coule l’offrande sacré
ce baiser suave et doux
nourrit mon corps alangui
d’une sève délicate infinie
de la nef s’envolent les notes
célestes d’un oiseau mécanique
au bas du parchemin
nos deux cœurs
ne font plus qu’un.Par de troublants dédales
Par de troublants dédales
La main caresse l’orbe des roses
Seins de glace fossiles
Où ombres et lumières s’enlacent
la buée de ta voix se fige par endroit
se brise puis recommence
tu gémis et murmures
tes mots fragiles graminées
sous le miroir des âmes
ensemencent l’incertain
chacun de tes naufrages
garde au plus profond
de mes mains
la trace de tes silences
à la frontière du bleu
à la frontière du néant
le resserrement du temps se fait palpable
Il ne restera bientôt
Plus rien
que la poussière du monde.Matin d'hiver
Matin d’hiver
L’œil céleste est devenu d’airain
Sur le lac gelé coule le jus sucré
D’un soleil fraîchement coupé
Une langue froide lèche nos visages
Les cris du monde se glissent
Dans les fissures du jour
D’arabesque en arabesque
Tu dessines les lettres éphémères
D’un alphabet secret
Plongée dans tes pensées
Tu tournes et virevoltes
Sur de fragiles plumes
Effleurant d’un geste volé à l’enfance
Ce palimpseste étrange
où la mémoire s’efface
Ici bas chaque trace,
Chaque mot, chaque parole
Nous délivre peu à peu
De nos mensonges, de nos tourments
On ne sait rien des tragédies qui se jouent
De l’autre côté du miroir
Et pourtant…Rose mon amour
Lorsque ta voix s’est tue
Le silence a pris soudain
la couleur des abysses
je me suis réfugié
au creux de mes mains
et j’ai pleuré
longtemps
et puis il y a eu cette descente
vertigineuse oppressante
au fond de ma mémoire
je t’ai cherché partout
ma douce Rose mon amour
dans les prairies dans les forêts
dans les lacs gelés de Cornouailles
dans les jardins de notre enfance
tu étais là allongée
immobile comme une fleur coupée
un vent léger berçait ta nuque
tu m’as souris
et je suis remonté à la surface de mon âme.Démiurge
Ne rien comprendre
Et pourtant s’interroger
S’émerveiller à déchiffrer l’invisible
Là où la lumière se fait entendre
Dans les plis et les replis
Dans la courbure transparente
D’une simple feuille
Alchimiste ou bien Démiurge
Réinventer l’éternité
Sentir le parfum froid de la petite mort
Goûter l’instant fragile où tout bascule
S’enraciner
Pour devenir la feuille elle-même.Résistance
Soudain la fleur se fait rebelle
Un geste vertical brise net
Toute velléité de résistance
sabre au clair un bourgeon
défie l’immuable force qui le contient
un ultime sursaut
puis un long silence immobile
lourd et pesant
Ne restent alors que des ossements de graines
des corps flétris des fragments de chair
mais nulle souffrance
nulle douleur
juste ce sentiment de plénitude
quand la nuit dévore le peu de lumière
qu’il nous reste.Dans les rets de givre
Dans les rets de givre
L’éphémère se fait soudain éternité
Le végétal abandonné
Obsolescence programmée
De sa vive agonie résiste
Le pétale enseveli sous l’eau de marbre
Si brûlant soit le gel qui l’enserre
Regarde de son œil hagard
Le néant qu’il abhorre
Un peu de lumière s’écoule et luit
Teintant d’ocre et de nuit
La lampe secrète qui nous unit
Etrange tressaillement des corps
Qui brûle nos gestes les plus lents
Le temps dépose ici
Un peu de son silence
A la déchirure des feuilles
Afin que nul n’oublie
Que tu fus un jour en vie.Le coeur de Rose
Le cœur de Rose
Au creux des mains
Une fleur de sang
Le cœur de Rose dans son écrin
Il faut du temps
A ceux qui s’aiment
Pour que la sève
De mille printemps
Sème sans trêve
Son flot d’argent
Au creux des mains
Une fleur de vent
L’amour d’Eros infiniment
Et quand cette fleur
Devient oiseau
Quand son doux chant
Défie le temps
Poème ou Prose
Pour un instant
Le cœur de Rose
Encore vivant.